jeudi 30 septembre 2010

La règle du jeu : pile, je gagne, face, tu perds !




 Le Monde 28/9/2010

Il sera bien temps, d'ici au printemps 2012, de faire le bilan de toutes les réformes annoncées, amorcées, engagées, contrariées, ensablées ou oubliées depuis trois ans. Ne retenons pour l'heure, puisque l'actualité y invite, que le grand chantier institutionnel ouvert dès l'été 2007 par Nicolas Sarkozy.
Il comportait deux volets : la réforme de la Constitution, entérinée par le congrès le 23 juillet 2008, puis celle des collectivités territoriales dont l'examen arrive à son terme, cette semaine, à l'Assemblée nationale. Au niveau national, comme au niveau local, les mêmes principes devaient présider à cette ambitieuse " modernisation " : " Ceux d'une démocratie exemplaire, d'une République irréprochable, d'une vie publique placée sous le signe de la clarté et de la responsabilité et gouvernée par l'intérêt général ", selon les termes du chef de l'Etat, le 22 octobre 2008, à l'Elysée.
Qu'en est-il deux ans plus tard ? Non pas de la République irréprochable dont on constate tous les jours ou presque qu'elle ne l'est pas ; pas davantage du pouvoir nouveau donné aux citoyens de défendre leurs droits face à la loi, grâce à la question prioritaire de constitutionnalité, dont le Conseil constitutionnel s'est emparé avec efficacité et qui restera, probablement, une réforme en profondeur de notre Etat de droit. Mais qu'en est-il de la " démocratie exemplaire " ?
L'affaire des retraites témoigne qu'elle reste un voeu pieux. Voilà pourtant une réforme essentielle qui, au-delà des contraintes financières, touche chacun dans sa vie personnelle et professionnelle, dans son rapport au travail, à la solidarité, à l'âge et à la mort : une réforme de civilisation, si l'on ose employer l'expression, un peu galvaudée. A-t-elle fait l'objet d'un grand débat national, à l'occasion de la campagne présidentielle de 2007 ? L'on sait bien que non puisque Nicolas Sarkozy avait alors assuré, et répété en 2008, qu'elle n'était pas à l'ordre du jour ?
A-t-elle fait l'objet, depuis qu'elle est engagée, d'un débat national organisé par le pouvoir, afin de convaincre chacun de sa justesse et de sa justice ? Non, si l'on en juge par les enquêtes d'opinion et par les manifestations dans les rues de l'Hexagone.
Pourrait-elle faire l'objet d'un tel débat, à l'occasion d'un référendum que certains réclament ? Encore non, puisque la nouvelle procédure de référendum d'initiative mi-parlementaire mi-populaire, introduite à l'article 11 de la Constitution par la révision de 2008, est restée lettre morte : la loi organique censée en préciser les règles dort prudemment dans un tiroir. A-t-elle au moins fait l'objet d'une négociation approfondie avec les syndicats ? Toujours non.
Restait le Parlement. On a vu ce qu'il en était à l'Assemblée : 65 heures de débat verrouillé pour tout potage et l'opposition privée de dessert, le 15 septembre, lorsqu'elle a voulu inaugurer le droit nouveau offert à chaque député d'expliquer son vote durant cinq minutes. Le président de l'Assemblée, Bernard Accoyer, a poliment attendu que le vingt-troisième orateur socialiste, Laurent Fabius, se soit exprimé, avant de mettre fin brutalement à la séance.
Inacceptable obstruction, s'est-il défendu. Sans doute. Mais modeste réplique au passage en force voulu par le gouvernement. Le vote eût été retardé de quelques heures, la face de la réforme n'en aurait pas été changée, et l'honneur de l'opposition aurait été sauf ; cette opposition dont le président souhaitait, le 12 juillet 2007, à Epinal, qu'elle " puisse mieux jouer son rôle dans une démocratie apaisée "... On en sourit - jaune.
L'ultime recours est le Sénat, dont le président joue les " gentils " après que son homologue de l'Assemblée eut joué les " méchants ". Mais chacun sait bien, là encore, que les amendements qu'il esquisse ont été soigneusement calibrés avec l'Elysée pour pouvoir dire, si la mobilisation dans la rue ne faiblit pas, que l'on a su en tenir compte. Au fond, la règle du jeu est simple : pile je gagne, face tu perds !
Elle va, à nouveau, s'appliquer le 28 septembre, lors du vote en deuxième lecture, à l'Assemblée, de la réforme des collectivités territoriales. Un grand oeuvre était annoncé, destiné à simplifier nos institutions locales, clarifier les responsabilités et les compétences de chacun, réduire dysfonctionnements et redondances. Pour le coup, le Parlement a pris le temps : une année entière d'allers et retours entre sénateurs et députés.
Mais, à l'arrivée, un résultat déplorable : faute d'accord avec le Sénat, l'Assemblée aura le dernier mot - c'est la règle - et rétablira le texte voulu par le chef de l'Etat. Tant pis si la création du conseiller territorial (mi-départemental mi-régional) rend le paysage encore plus confus qu'aujourd'hui ; tant pis si son élection future au scrutin uninominal à deux tours écorne sérieusement le principe de la parité entre femmes et hommes, pourtant inscrit dans la Constitution ; tant pis si ce texte, de l'aveu même des présidents des deux Assemblées, est devenu " inapplicable ". Il sera voté, pour permettre au président de la République d'ajouter une ligne - même creuse - à son bilan et d'appliquer fermement sa devise : pile je gagne, face tu perds !
Le comble est que cette singulière conception de la démocratie semble gagner les esprits à gauche. Après des débats internes, les socialistes ont décidé, avant l'été, d'organiser des primaires pour désigner leur candidat en 2012. Ce doit être un grand moment démocratique, exemplaire, transparent et mobilisateur.
Et voilà que Claude Bartolone, qui n'est pas le moindre d'entre eux, dit tout haut ce que certains espèrent en leur for intérieur : les primaires ne seraient, au fond, que la " confirmation " de celui (Dominique Strauss-Kahn) ou celle (Martine Aubry) qui, dans les prochains mois, se sera imposé dans le parti et dans l'opinion.
Tollé des autres prétendants. Ferme démenti de la première secrétaire du PS. Mais cela n'effacera pas l'impression que, de ce côté-là aussi, certains aimeraient bien jouer à ce jeu national : pile je gagne, face, tu perds ! 

Gérard Courtois

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