dimanche 15 mai 2011

Qui défend les classes populaires (1)? Réponse de Terra Nova



Terra Nova vient de publier un rapport de sociologie électorale, « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? », qui suscite un vif débat. Les interrogations qu’il soulève sur les mutations du paysage politique sont bien légitimes. Mais s’y est greffée une polémique politicienne, instrumentalisée par le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé : Terra Nova proposerait de « dire adieu » aux classes populaires. Rien n’est plus faux. 

AA: voici ce qu'écrit, à ce sujet, Libération, en date du 14 mai sous la plume de Paul Quinio, sous le titre de "Digue": "Il ne faut pas se tromper : que l’avocat Gilbert Collard et avant lui l’ancien président de Reporters sans frontières Robert Ménard disent tout haut le bien qu’ils pensent des idées du Front national n’est pas le signe que la digue qui isolait jusqu’ici le parti d’extrême droite va céder. Elle a déjà cédé. Les Collard et Ménard sont plus des ânes qui vont à l’abreuvoir boire une mauvaise soupe que des oiseaux de mauvais augure. Ils sont moins les révélateurs de la porosité dans l’électorat, notamment populaire, des idées du FN, qu’une confirmation du danger Le Pen. Oui, celui-ci existe, et la légèreté de certains responsables de gauche face au risque d’un nouveau 21 avril, à l’endroit ou à l’envers, laisse pantois. Comme laisse pantois le débat qui monte au Parti socialiste sur l’impossible reconquête de cet électorat populaire très mouvant. A qui doit prioritairement s’adresser le PS ? Aux classes populaires ? Aux classes moyennes ? Telle serait la dernière question en vogue. Comme si l’histoire avait le hoquet. Car si la division de la gauche a pesé sur l’éviction de Lionel Jospin dès le premier tour de la présidentielle de 2002, l’ancien Premier ministre socialiste a aussi perdu pour avoir négligé l’enjeu des classes populaires. Il est d’autant plus étonnant de voir le même débat ressurgir aujourd’hui que la violence de la crise économique et financière impose à la gauche d’apporter de nouvelles réponses à ces électeurs perdus."

D’abord, les milieux populaires n’ont pas abandonné la gauche.

Le rapport identifie le cœur électoral de la gauche aujourd’hui. Ce cœur électoral – c’est-à-dire l’électorat « naturel » de la gauche, celui qui vote le plus à gauche – est en apparence composite. Il réunit : les quartiers populaires (avec notamment la France de la diversité), qui votent à 80% à gauche en 2007; les jeunes (70%); et les femmes, historiquement conservatrices mais qui basculent aujourd’hui nettement à gauche (plus de 60% aux dernières élections régionales). AA: je ne suis pas sûr que ce chiffres soient encore valables, 4 ans après (avec la montée du FN dans ces catégories-là); peut-être est-ce plus vrai pour les femmes...

Cet électorat est plus unifié qu’il n’y paraît. Il réunit avant tout les outsiders de la société, ceux qui cherchent à y rentrer, notamment sur le marché du travail, mais n’y parviennent que difficilement. Ils ont du mal car ils sont la principale variable d’ajustement d’une société qui, face à la crise, sacrifie les nouveaux entrants. Ils ont besoin de l’aide de la puissance publique pour s’émanciper – les jeunes pour briser le plafond de verre qui les empêche d’accéder à un premier emploi stable, les femmes pour leur permettre d’articuler vie familiale et vie professionnelle, les quartiers populaires pour cesser d’être discriminés. Ils partagent également les mêmes valeurs culturelles, progressistes : solidarité, ouverture, tolérance.

Cette nouvelle gauche en émergence n’est pas propre à la France. Elle est la même que celle qui se dessine partout en Europe, mais aussi en Amérique du Nord. Elle a porté au pouvoir tant Barack Obama que Jose-Luis Zapatero.

Ce nouveau cœur électoral est composé en grande partie par des Français issus des milieux populaires : les habitants des quartiers populaires, les minorités, les jeunes déclassés, les mères célibataires en situation précaire (AA: je pense que ce qui marque cette catégorie-là, c'est...l'abstention)… Il est donc absurde de dire que les milieux populaires ont abandonné la gauche : au contraire, ils sont toujours au cœur de son électorat naturel.

En revanche, le rapport de Terra Nova pointe une rupture électorale contemporaine : il n’y a plus de vote unifié de classe. Les classes populaires (ouvriers, employés) votaient hier massivement à gauche : 72% pour les ouvriers, au second tour de l’élection présidentielle de 1981. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les classes populaires sont désormais divisées sur les valeurs. La grille de lecture pertinente n’est plus les classes sociales mais la division outsiders – insiders. Il y a d’un côté les milieux populaires déclassés, victimes du précariat, du chômage, de l’exclusion, et souvent discriminés : ceux-là sont au cœur de l’électorat naturel de la gauche. Il y a de l’autre les milieux populaires intégrés, qui ont un emploi stable, en CDI, mais qui,  travaillés par la crise, ont peur du déclassement et sont tentés par le repli identitaire. Une partie de ces travailleurs, qui il y a trente ans votait à gauche, singulièrement pour le parti communiste, a basculé vers le Front national. (AA: j'aimerais être convaincu par cette distinction insiders/outsiders. On pourrait inverser les conséquences de cette distinction: les insiders voteraient PS parce qu'ils espèrent une amélioration de leur situation, alors que les outsiders, lassés de buter sur l'intégration, crient leur désespoir en votant FN...)

 Olivier Ferrand  


A suivre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire