lundi 11 juillet 2011

Rapport de la Cour des Comptes sur la politique de sécurité: où est le problème?



Paru sur le blog (Lemonde.fr, accessible uniquement aux abonnés) de Laurent Mucchielli, sociologue français éminent, spécialisé dans les questions de délinquance et de violence des populations immigrés, un remarquable exercice de rigueur et de simplicité d'analyse concernant le rapport de Cour des Comptes:


Le rapport que vient de rendre public la Cour des Comptes, sur «l’organisation et la gestion des forces de sécurité publique», suscite une polémique qui n'a pas lieu d'être et qui menace de ridiculiser le gouvernement, pour au moins trois raisons.

1) Ce rapport n'a rien de révolutionnaire dans son contenu


Quiconque travaille sur les questions de sécurité comprend à la lecture de ce rapport qu'il n'a rien de révolutionnaire. Il entérine les constats que les professionnels et les chercheurs font depuis plusieurs années. Ainsi en est-il :


- du constat que l'analyse précise des statistiques de police et de gendarmerie dément la communication auto-célébratoire des ministres de l'Intérieur successifs. Non, on ne peut pas affirmer que la délinquance a fortement reculé dans notre pays, ni que l'efficacité des forces de police et de gendarmerie a fait des progrès spectaculaires. Les chiffres agrégés et triés sur le volet dans les discours ministériels sont en bonne partie de la poudre aux yeux. On l'a montré à plusieurs reprises à l'occasion des conférences de presse du ministère de l'Intérieur au mois de janvier de chaque année. On a même été conduit récemment à reconnaître que Claude Guéant n'hésitait pas à présenter aux médias des chiffres tout simplement faux.


- du constat qu'aucun des grands problèmes d'organisation et de management des forces de police et de gendarmerie n'a été résolu (répartition des zones de compétences, répartition et calcul des effectifs, bureaucratisation du travail des agents de base, turn over des personnels dans les endroits difficiles, etc.).


- du constat que la principale innovation depuis 2002 réside dans la « culture du chiffre » imposée aux policiers et aux gendarmes, qu'il s'agit d'un management dont le but est l'utilisation politique des résultats et non l'amélioration de la performance réelle des administrations concernées, qu'il privilégie la quantité sur la qualité, qu'il renforce la centralisation jacobine du système tout en prétendant développer les partenariats locaux, qu'il est rejeté par la quasi totalité des policiers et des gendarmes concernés tout grades confondus.


- du constat que la vidéosurveillance est imposée par le gouvernement en l'absence de toute évaluation indépendance et rigoureuse, qu'elle a un coût exorbitant et que l'idée qu'elle peut compenser la réduction des effectifs de police et de gendarmerie est une grosse sottise.


Tout ceci ne peut en réalité étonner. Mais tandis que le gouvernement pouvait jusqu'à présent dire que c'étaient là des arguments de syndicats corporatistes, de chercheurs polémistes et de journalistes incompétents, la Cour des Comptes vient poser une reconnaissance et une légitimité institutionnelles qui dérangent autrement plus.


2) La Cour des Comptes s'est fondée exclusivement sur les données officielles


Quant à la méthode et aux sources, le rapport de la Cour des Comptes est d'autant moins critiquable par le gouvernement qu'il se fonde exclusivement sur des données institutionnelles à commencer par les ressources du ministère de l'Intérieur lui-même. La quasi totalité des données rassemblées par la Cour ont été fournies par les préfectures, par les services de police et de gendarmerie et par l'Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) qui dépend directement du Premier ministre mais dont les statistiques sont fournies par le ministère de l'Intérieur. A aucun moment, la Cour ne s'appuie sur des enquêtes réalisées par des journalistes ou sur des travaux de recherche de type universitaire et scientifique. Il y en aurait eu pourtant beaucoup à mobiliser et ils auraient pu par moment permettre à la Cour d'aller beaucoup plus loin dans la critique. Monsieur Guéant est donc mal fondé à crier au scandale de ce point de vue. On doit plutôt comprendre ici sa colère comme celle de l'arroseur arrosé...


3) La réaction de Claude Guéant et des dirigeants de l'UMP est purement politicienne


Enfin, la tentative de politisation du problème par le ministre de l'Intérieur et les dirigeants de l'UMP (notamment messieurs Copé et Ciotti) est une diversion qui ne trompe personne et qui peut être très facilement réfutée. D'abord, on mesure une fois de plus le mépris dans lequel le pouvoir politique actuel tient les magistrats et les autorités administratives indépendantes. Et c'est cela qui devrait paraître « scandaleux » à tout défenseur de la République. Ensuite, accuser la Cour des Comptes et son président actuel Didier Migaud d'avoir fait un rapport partisan (un « rapport de gauche ») est soit une belle hypocrisie soit une totale méconnaissance de l'histoire de ce rapport et du fonctionnement de cette institution républicaine essentielle. En effet, on rappellera à monsieur Guéant et aux dirigeants de l'UMP que ce rapport sur la politique de sécurité n'a nullement été décidé et organisé par monsieur Migaud (nommé Premier président de la Cour des comptes en février 2010). Il avait en réalité été décidé par son prédécesseur Philippe Séguin. Et c'est également ce dernier qui avait constitué le groupe de travail au sein de la Cour. Accessoirement, on rappellera enfin à ceux qui font semblant de l'ignorer que ce n'est pas le Premier président de la Cour des comptes qui écrit les rapports de cette institution, mais des collèges de magistrats aux tendances diverses.


Au final, on comprend que la réaction du pouvoir politique actuel est purement politique. En plein démarrage de la campagne électorale, sur un sujet (la politique de sécurité) qui constitue le cœur de l'héritage du sarkozysme depuis 2002, ce rapport vient jeter un pavé dans la mare qui semble provoquer un certain affolement.

8/7/77

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