mercredi 6 février 2013

Pour comprendre ce que la France fait au Mali.


J'ai, ci-dessous, résumé une remarquable étude faite par Olivier Roy, professeur agrégé de philosophie et diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) ; directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de recherche au CNRS ; spécialiste de l'islam politique. L'article s'intitule: Vaine stratégie française au Mali et est paru dans le Monde du 4/2. J'ai repris de larges extraits de cette étude, sans y mettre de guillemets.


Les buts de guerre officiels de la France au Mali sont de combattre le "terrorisme islamique" et rétablir l'intégrité territoriale du Mali. Quels sont les rapports entre ces 2 objectifs ?
Sous le vocable de terrorisme islamique on met à peu près n'importe quoi : Al-Qaida bien sûr, mais aussi des partis qui sont avant tout nationalistes, comme le Hamas palestinien, des mouvements locaux voulant établir la charia, comme les talibans afghans ou l'Ansar Eddine malien, voire n'importe quelle communauté religieuse parlant de charia islamique.

L'INTÉGRITÉ TERRITORIALE DU MALI EST MISE EN CAUSE

L'intégrité territoriale du Mali est mise en cause d'abord et avant tout par les mouvements touareg du nord du pays, qui considèrent, à tort ou à raison, ne pas être assez pris en compte par les gouvernements maliens, avant tout tenus par les Africains noirs du sud.
Les Touareg, peu nombreux mais présents sur un territoire immense aux confins des deux ensembles Afrique Noire et Afrique Arabe, ont été les perdants de ce partage découlant de la colonisation et se manifestent au Tchad, au Mali, au Niger, voire en Algérie et en Libye depuis des décennies.Exclus du pouvoir, ils ont trouvé dans la contrebande transfrontalière de nouvelles ressources économiques ; de tradition guerrière, ils ont profité des conflits régionaux (dont la révolution libyenne) pour trouver les moyens de s'armer ; enfin, la référence récente à l'islam permet à certains d'apparaître comme porteurs d'un message universel, au-delà de leur identité tribale, et de trouver des alliés dans les populations africaines.

Mais cette question touareg ne peut être résolue que par une négociation politique visant à un partage plus équitable du pouvoir.
De plus, pour rétablir l'intégralité territoriale du Mali, il faudrait qu'il y ait un Etat malien central stable, solide et reconnu, ce qui n'est pas (ou plus) le cas. Le risque est qu'au lieu de rétablir un Etat pour tous, l'intervention française redonne le pouvoir à une faction, peu soucieuse de le partager, et aggrave donc les tensions ethniques.
En outre, les mouvements touareg étaient représentés par des groupes plutôt séculiers – comme l'est le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), à l'origine de la révolte –, mais ils se font doubler par des mouvements salafistes, qui sont aussi touareg, comme Ansar Eddine, qui mettent en avant la mise en œuvre de la charia et la construction d'un émirat islamique, qui comme par hasard occupe de fait les zones revendiquées par les mouvements nationalistes.

ISLAMISATION D'UNE REVENDICATION NATIONALISTE OU RÉGIONALISTE

C'est un phénomène récurrent dans le monde musulman depuis les années 1980 : les moudjahidine afghans, suivis par les talibans, le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais, par exemple, incarnent cette islamisation d'une revendication nationaliste ou régionaliste.
Sans doute est-ce parce que seule la référence à la charia permet de dépasser les clivages tribaux, sans pour autant abolir le système tribal. Mettre ces mouvements dans la case "terrorisme islamique" est absurde et dangereux.
La récente scission d'Ansar Eddine au Mali entre la tendance salafiste et celle qui se revendique d'abord de l'identité touareg (Mouvement islamique de l'Azawad), scission annoncée le 24 janvier 2013, est une claire indication que ce triple niveau (charia, coalition tribale, revendication ethnico-nationale) peut se recomposer de manière variable autour d'un des trois éléments.

RIEN DE NOUVEAU DANS LES VA-ET-VIENT D'AQMI, DU MUJAO

Que vient faire Al-Qaida là-dedans ? Il n'y a rien de nouveau dans les va-et-vient d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), du Mujao ou de n'importe quel petit groupe de djihadistes internationalistes qui évoluent à leur guise dans le Sahel. Les groupes liés à Al-Qaida sont par excellence des nomades, mais qui nomadisent d'abord dans l'espace global : ils ne sont pas réellement ancrés dans les sociétés où ils opèrent et rassemblent plutôt des "déracinés" souvent d'origine étrangère et par définition très mobiles, d'autant plus qu'ils sont peu nombreux.
Le schéma est le même depuis une vingtaine d'années : Al-Qaida est composée de djihadistes internationaux et n'exprime jamais un mouvement social ou politique local. C'est ce qu'illustre la composition du groupe ayant attaqué le complexe gazier d'In Amenas en Algérie : des gens de toutes origines, de toutes races et incluant des convertis.
AQMI n'a pas d'ancrage sociologique dans le Sahel, mais s'implante grâce à son alliance avec des forces locales, en général salafistes, mais aussi avec des éléments délinquants.

AL-QAIDA PARASITE DES CONFLITS LOCAUX

Al-Qaida n'est pas un mouvement politique qui cherche à établir de vrais émirats islamiques locaux : son objectif, c'est avant tout l'Occident, comme le montre l'attaque contre le complexe gazier algérien, où seuls les expatriés non musulmans furent ciblés.
La stratégie d'Al-Qaida est globale et déterritorialisée : il s'agit de multiplier les confrontations, mais toujours en visant l'Occident.
En un mot, Al-Qaida parasite des conflits locaux, qui ont leur logique propre, pour les radicaliser dans un sens anti-occidental et pour attirer l'Occident dans le piège de l'intervention.
Or cette stratégie est vaine : pour occuper du territoire, il faut des centaines de milliers de soldats, et, quand ils sont en place, Al-Qaida est déjà partie (comme en 2001 en Afghanistan, et ce sera le cas au Mali).

Si la France espère mettre fin à la sanctuarisation d'Al-Qaida au Maghreb par une occupation d'un territoire, c'est absurde : le groupe ira se reconstituer un peu plus loin.
Et si le but est la destruction de ces groupes, c'est tout aussi absurde : vu le faible nombre de combattants qu'ils comprennent (quelques centaines), vu leur recrutement international, rien de plus facile pour eux que de bouger, passer les frontières, ou revenir en jean et sans barbe à Toronto ou à Londres.

Al-Qaida est une nuisance, mais pas une menace stratégique. Pour lui ôter une grande part de sa puissance, il suffit de faire en sorte que les forces locales que le mouvement veut parasiter n'aient plus aucune bonne raison de les protéger. C'est pour cela qu'il faut négocier avec les forces locales...
Derrière la rhétorique de la guerre contre le terrorisme, ce qu'il faut, c'est une approche politique de la situation.

6 commentaires:

  1. BON ALORS RÉSUMONS: LE QATAR FINANCE ET FOURNIT LES VÉHICULES DU DÉSERT ET L ARMEMENT QUI VA BIEN AVEC LA BÉNÉDICTION DE LA CIA. FROMAGE FONDU ENVOIE AU CASSE PIPE LES PETITS JEUNES, DONT BEAUCOUP DU NORD DE PARIS DU COTE DE LA RÉGION NORD PAS DE CALAIS, QUI SE SONT ENGAGES EN DÉSESPOIR DE CAUSE CAR LES QUELQUES EMPLOIS RESCAPÉS SONT RÉSERVÉS A L ENTOURAGE DES ELUS DE CETTE MERVEILLEUSE RÉGION MONARCO SOCIALISTE NEPOTIQUE . VIVE LA RIPOUBLIQUE VIVE LA FINANCE!

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  2. VELO : sport de pédales qui consiste à se faire des piqûres avant la rentrée des cols.
    VENTILATEUR : appareil qui brasse de l'air. synonyme : commentateur sportif.

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  3. N'avez-vous pas oublié les frères musulmans que le régime égyptien faisait sortir de temps en temps pour éliminer la Gauche et les progressistes?

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  4. Les anciens empires coloniaux sont coupables du désordre (pour rester soft) actuel. France, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Allemagne... mais aussi des super puissances comme les USA, l'URSS et la Chine... Après la traite des noirs, après avoir (et ça continu) pillé et pollué leurs terres, après avoir armé les factions x ou y, nous voilà maintenant depuis 20 ou 30 ans ceux qui y envoient des troupes ou des missiles sur la gueule de ceux dont la peau à la malheur d'être plus sombre que la notre. Et je ne parle même pas de l'attitude des religions à leur encontre. Bref. Nos gouvernements ont tué, tuent, et tueront les africains. Tant que ça rapporte.

    Tom Jericho.

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    1. Merci. Cours de géopolitique concis mais efficace!

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    2. Mary, pas de quoi. Ravi de vous revoir parmi nous depuis quelques jours, après le bug de l'an 2000...13 ;)
      Le bon côté des choses, c'est cette mouture du site, plus agréable pour la lecture.

      Tom Jericho.

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